Vers des débrayages en faveur du droit de grève ?


https://www.unsa.org/3320

Ce focus juridique du jour témoigne des menaces généralisées affectant le droit de grève et son exercice par les salariés, tant en Europe, qu’en France... Dans ce contexte de besoin de nécessaire "rapport de forces", entre la collectivité des salariés et les employeurs pour ouvrir un dialogue social et faire aboutir des revendications (notamment lorsque le "dialogue" et la concertation n’existent plus... ), il est constaté qu’il est de plus en plus porté atteinte au droit de grève et à sa mise en oeuvre, droit et expression forts de rapports humains et sociaux dans le travail, "grèves" pourtant conçues comme l’ultime recours...
L’UNSA juridique vous commente les indicateurs sérieux d’une remise en cause de l’égalité des armes dans l’expression collective et la résolution des conflits sociaux, par la grève...

DOSSIER : QUEL AVENIR POUR LE DROIT DE GRÈVE ? ÉPIPHÉNOMÈNES OU REMISES EN CAUSE STRUCTURELLES ?

° LIMITER LE DROIT DE GREVE POUR LA CONTINUITE DU SERVICE PUBLIC DES TRANSPORTS

Les périodes de grève dans les transports publics sont fréquentes et périodiques.

Avec l’approche des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, les annonces de grèves potentielles dans les transports pendant cette période sont encore plus redoutées.

Proposition de loi régressive...

Une proposition de loi visant à concilier la continuité du service public des transports avec l’exercice du droit de grève, a ainsi été déposée par des sénateurs le 14 février 2024, pour légiférer autour de cette problématique.

Selon les auteurs de la proposition, cette dernière n’a pas pour objectif de remettre en cause le droit constitutionnel de grève, puisqu’elle vise à mieux le concilier avec la continuité du service public de transports.

Ces sénateurs estiment que les grèves dans les transports publics peuvent engendrer des conséquences nuisibles et dommageables pour les usagers, voire porter atteinte à l’ordre public et à la liberté d’aller et venir et in fine, décourager l’utilisation de modes de transport décarbonés. L’objectif serait alors de limiter ces effets, notamment sur les périodes de vacances scolaires et à l’occasion de grands événements nationaux, tels que les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.

Cette proposition de loi est largement inspirée du système italien basé sur une loi italienne de 1990, qui prévoit un système de suspension du droit de grève pour la mise en œuvre du service public de transports, pendant certaines périodes de l’année, et offre la possibilité au Gouvernement de fixer ces périodes.

Le 9 avril 2024, le Sénat a adopté cette proposition de loi par 211 voix pour et 112 contre (donc à une large majorité qui ne peut inquiéter que l’ensemble des travailleurs... .

CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI...

La proposition de loi compléterait et modifierait le code des transports, notamment par la création d’un chapitre réservé à la « prévisibilité des services de transport terrestre de voyageurs en cas de grève ».

La suspension du droit de grève serait encadrée pour les services publics de transport terrestre régulier de personnes et les services librement organisés de transport ferroviaire de voyageurs, à l’exception des services de transport international de voyageurs.

Il est proposé que l’exercice du droit de grève des personnels des services publics de transports puisse être suspendu entre 6 heures 30 et 9 heures 30 et entre 17 heures et 20 heures, soit les heures de pointe, pendant des périodes continues pouvant aller jusqu’à sept jours et pour une durée annuelle cumulée n’excédant pas trente jours.

Le texte initial de la proposition de loi prévoyait des périodes continues pouvant aller jusqu’à quinze jours, dont la durée annuelle cumulée ne pouvait être supérieure à soixante jours. La proposition ajoute qu’un délai d’au moins cinq jours devra être respecté entre deux périodes de suspension.

Le manquement à ces règles par les agents pourra être passible d’une sanction disciplinaire.

Initialement, les auteurs avaient souhaité que le manquement soit puni d’une amende de 15 000 euros et d’un an d’emprisonnement, ainsi que d’une peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité professionnelle en lien avec un service public pour une durée qui ne peut excéder cinq ans.

La proposition de loi fixe que les périodes seraient fixées chaque année par décret, au moins quatre-vingt-dix jours avant que la première période concernée ne débute. De plus, il est prévu que trente jours en amont de ce décret, une négociation préalable soit organisée entre organisations sociales représentatives salariales et patronales, sous l’égide du ministre chargé des transports.

Pendant la période des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, il est possible, en cas de suspension de l’exercice du droit de grève, qu’exceptionnellement, le décret soit publié au moins trente jours avant le début de cette période et que la durée de la période de concertation préalable soit de quinze jours.

Les périodes ciblées par la proposition de loi sont :

  • de la veille et jusqu’au lendemain des jours fériés ;
  • les périodes de vacance des classes ;
  • de la veille et jusqu’au lendemain des jours des élections nationales et locales au suffrage direct et des référendums ;
  • les événements d’importance majeure sur le territoire français.

Par ailleurs, la proposition est complétée, majoritairement à l’initiative de la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, par d’autres dispositions, notamment :

  • La limitation à trente jours des préavis de grève et la prévision de la caducité automatique des préavis de grève non suivis d’effet au bout de 48 heures, afin de lutter contre les « préavis dormants ».
  • L’allongement à 72 heures (au lieu de 48h) du délai dans lequel les agents indispensables à l’exécution du service doivent se déclarer grévistes, afin d’offrir une meilleure information aux voyageurs.
  • L’imposition de l’exercice du droit de grève du début du service et jusqu’à sa fin (et non plus en cours de journée), afin de limiter le recours abusif aux grèves de 59 minutes, ce qui avait été accepté par le juge administratif pour la RATP.
  • La permission de réquisitionner certains personnels pour assurer le service minimum dans les transports, lorsqu’en raison d’une grève, ce service n’a pas été assuré pendant trois jours.

QUELLE SUITE PARLEMENTAIRE ?

Le texte adopté par le Sénat a été transmis à l’Assemblée nationale le 10 avril.
Si l’Assemblée nationale vote le texte sans modification, le texte sera définitivement adopté.

Il reste à voir si l’Assemblée nationale valide également ce texte, alors qu’en séance, le Gouvernement s’est dit défavorable à la proposition de loi.
De plus, il est quasiment certain qu’une telle réforme, si elle était adoptée, devrait se soumettre au contrôle du Conseil constitutionnel, en ce qu’elle pourrait profondément affecter le droit de grève des agents, droit de grève qui rappelons-le, est protégé constitutionnellement. Les syndicats UNSA du secteur sont mobilisés et l’Union est prête à appuyer ses affiliés...

Auteurs, Jade EL MARBOUH, Juriste, et Lucile BÉDOURET, Stagiaire, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.


GRÈVE EN EUROPE :

° ROYAUME UNI : L’EXERCICE D’UN DROIT DE GRÈVE LICITE PEUT ABOUTIR À LA SANCTION DU GRÈVISTE EN RAISON DE L’IMPACT DU MOUVEMENT SUR L’ENTREPRISE...

Décision MERCER (1), Royaume-Uni : interdiction d’un juge de toute forme de sanction contre un salarié qui participe à une action collective.

UNISON est un syndicat à l’origine de nombreuses jurisprudences nationales et européennes.

(déjà, son action contentieuse relayée par un arrêt de la Cour Suprême du 4 octobre 2023 reconnaissant l’extension du délai de forclusion de trois mois à deux ans pour le rappel d’indemnités de congés payés (officier de police) (2)).

En droit britannique, il n’y a pas de droit de grève, mais l’accord TULRCA de 1992 reconnaît une protection des travailleurs en cas d’actions syndicales. Mais, la section n° 146 du texte ne protège pas contre toutes formes de sanction et le juge suprême avait eu à déclarer cette loi « incompatible avec l’article 11 qui consacre la liberté d’association, le droit de grève et toute ‘action collective’ ».

La décision de justice s’inscrivait dans une série d’affaires où le droit des travailleurs britanniques était attaqué...

Dans l’affaire contentieuse critique qui nous mobilise dans ce « focus » sur la réduction du droit de grève en France et en Europe, Fiona Mercer, représentante syndicale d’UNISON, préparait une action de grève. Elle fut « suspendue » avant de pouvoir terminer ses préparatifs, aux motifs qu’elle avait abandonné son poste deux fois, et avait parlé à la presse sans autorisation. Mais, pour elle, le véritable motif de la sanction est la participation de son organisation à la mise en place d’une série de mouvements de grève.

Elle avait donc porté l’affaire devant les tribunaux, au préjudice, d’une part, que l’employeur lui avait ôté le droit de venir sur le lieu de travail pendant la préparation d’une grève et d’autre part, que si la suspension était cependant rémunérée, elle n’avait pu obtenir le paiement des heures supplémentaires qu’elle aurait pu accomplir.

Juge de 1ière instance

En 2020, les juges du fond ont rejeté sa demande, aux motifs que la protection accordée pour les actions de grèves ne s’étendait pas à l’organisation d’action syndicale à des moments inappropriés. La juridiction fonde sa décision sur l’interprétation de la section n° 146 TULCRA qui fait une claire distinction entre « action de grève et action syndicale ».

Cour d’appel

En 2021, la Cour d’appel annule une première fois la décision du tribunal de première instance, considérant que la section n° 146 devait être amendée pour ne plus faire référence à un “temps approprié”. Mais aussi, pour faire en sorte que la protection concerne tout le temps passé sur une action collective en dehors des heures de travail ou pendant (avec l’accord de l’employeur).

La Cour revient cependant sur sa décision et reconnaît que l’interprétation de la loi faisait clairement une distinction entre la grève et l’action syndicale, et qu’il n’était pas possible de protéger de façon équivalente les deux.

Cour Suprême

Devant l’impossibilité d’obtenir une interprétation compatible de la loi, le syndicat UNISON saisit la Cour suprême britannique : l’article 11 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) protège-t-il les salariés contre les sanctions pour participation à une grève ? Si l’accord TULRCA national n’accorde pas de garanties suffisantes, est-il encore compatible avec l’article 11 de la convention européenne des droits de l’Homme ?

La Haute Juridiction répondra que l’article 11 n’a pas vocation à protéger les travailleurs de toute action. Cet article n’a été interprété par la CJUE que lorsque des interventions directes de l’État qui entravent la négociation collective.

La Cour suprême, le 17 avril 2024 établit le droit pour un employeur d’imposer toute forme de sanction pour la participation à une grève (même) licite. « Si les travailleurs peuvent prendre part à une grève licite en s’exposant néanmoins à un toute forme de traitement défavorable en cas de reconnaissance du moindre préjudice, le droit de grève est attaqué ». La section n° 146 de TULRCA qui ne peut être interprété par le juge de façon à la mettre en conformité avec la protection des grévistes n’est donc plus conforme.

Éclairages...
L’article 11 protège expressément la liberté d’association et qu’il est un fondement du droit de protéger l’intérêt collectif de ses membres.

Si la jurisprudence de la CEDH (4) a identifié les éléments-clés qui constitue la liberté d’association : le droit de créer ou rejoindre un syndicat, l’interdiction des accords de monopole syndical, le droit de chercher à persuader l’employeur d’écouter ce qu’il a à dire au nom de ses membres, …, d’autres droits encore… Les limitations apportées doivent être interprétées à ces divers titres « restrictivement ».

Le juge britannique peut désormais mettre en balance les restrictions du droit et le but légitime recherché et dire si les mesures sont proportionnées ou non… C’est un pouvoir exorbitant.

C’est pour le droit britannique une lacune pour protéger les travailleurs qui exercent leur droit de grève. Il s’agirait maintenant pour le Parlement britannique de modifier la loi en concordance avec la CEDH (3).

Auteur, Adib MOUHOUB, Juriste, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.

(1) https://www.supremecourt.uk/cases/d..., ci-joint.
(2) Break the chain” aussi connu sous sa locution latine “novus actus interveniens” signifie briser le lien de causalité en français est une notion de droit britannique, qui sert d’outil en droit de la responsabilité et de la réparation du préjudice. Elle consiste à dire que la fin du lien de causalité exonère le fautif.
(3) Dans les prochaines semaines, notamment, le juge statuera sur la tactique du « fire and rehire », qui permet à l’employeur de renégocier les termes du contrat. Pour plus d’explication voir :
https://www.lefigaro.fr/conjoncture...
(4) Jurisprudence Demir et Baykara contre Turquie
https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%...

EN CONCLUSION :

Les brèches s’installent dans les Etats et les droits européens (TESLA en Suède, sanctions pécuniaires en Finlande, les transports en France). Les décisions des juges, loin de rétablir les salariés dans leurs droits participent à fragiliser le droit de grève des travailleurs. L’équilibre du rapport des forces et l’égalité des armes dans les rapports sociaux et le dialogue social, déjà très difficiles à garantir et à défendre s’en trouvent profondément affectés. Le Droit doit permettre que les relations sociales collectives puissent faire levier, en lien avec les accords collectifs négociés et la résolution des conflits sociaux. Sans un droit de grève juste et proportionné, les travailleurs perdront collectivement leur faculté de disposer de cet ultime moyen de défense que constitue l’arrêt de travail concerté pour être entendus dans leur revendications. L’UNSA veillera… Faudra t-il débrayer pour défendre le droit de grève, ...

Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA,

Pour toute remarque, juridique@unsa.org

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