Rejet par le juge d’un délai butoir de vingt ans pour la prescription d’une discrimination syndicale


https://www.unsa.org/3273

Jusqu’à combien d’années un syndiqué peut invoquer une discrimination syndicale et la faire sanctionner par un juge ?
Le jugement de la Cour de cassation du 20 mars 2024 permet de refaire un point sur les règles en vigueur, rapportées aux faits de cette affaire pas banale... L’employeur en a pris pour plus de 20 ans !

JURISPRUDENCE SOCIALE COUR DE CASSATION

A propos de l’arrêt de la Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 20 mars 2024, 23-11.837, inédit.

https://www.legifrance.gouv.fr/juri...

FAITS : Dans l’affaire, le refus de l’entreprise, depuis 2004, de faire passer à un salarié le permis poids lourds, l’absence d’entretien annuel à compter de l’année 2005, l’absence d’évolution professionnelle depuis 2006, la motivation de la décision de rupture du contrat par la discrimination syndicale et une absence d’invitation à une soirée organisée par le groupe, pour les salariés partis en retraite en 2016 et 2017 étaient reprochés par le syndiqué à son employeur.

Le salarié produit des pièces laissant supposer que son employeur avait cherché à le licencier, notamment en raison de son activité syndicale, dès 1987. L’employeur profite de cette annonce pour affirmer que, puisque le salarié avait identifié une discrimination en 1987, alors qu’avant la loi no 2008-561 du 17 juin 2008, la prescription était de trente ans, alors les faits sont prescrits en 2017.

La Cour d’appel  : Il était fait état par ces juges d’appel et du fond de la prescription dans le temps, lorsque le salarié a saisi le conseil de prud’hommes le 7 février 2018, des demandes (« demandes » fondées sur l’existence d’une discrimination syndicale).

Rappel de droit : la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 inscrite à l’article 1134-5 du code du travail a changé la prescription de l’action en discrimination, passant de trente ans à cinq ans. Le point de départ est la date de la révélation du fait discriminatoire par la victime. Le point de départ pouvant aussi varier selon le cas d’espèce (« point de départ glissant »).

Le juge avait résolu, dans un premier arrêt de mars 2021, certains problèmes concernant la date de départ du délai de prescription :

  • D’une part, parce que la discrimination est difficile à prouver et à discerner, il faut donner du temps à la victime pour se rendre compte qu’elle subit une inégalité de traitement. Ce faisant, le point de départ nait dès lors que le salarié dispose d’éléments suffisants pour apprécier l’existence et toute l’étendue de cette discrimination et l’entier préjudice en résultant (et non, de la simple connaissance, par le salarié, de l’existence d’une différence de traitement. Le juge a plus tard donné l’exemple de l’enquête à laquelle a procédé l’inspection du travail, pour apprécier le point de départ de la prescription (3)).
  • D’autre part, la discrimination est une infraction continue, c’est-à-dire que les faits discriminatoires se succèdent de manière ininterrompue, pour créer in fine un ensemble d’éléments constitutif de l’infraction.
    Le juge a pu préciser (1) que la révélation fait effectivement démarrer la prescription, mais que celle-ci n’est pas échue tant que les faits continuent à produire ses effets, l’étendue n’étant pas encore déterminée.

Plus tard, la Haute autorité a pu évoquer lors d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), que l’étendue pouvait s’apprécier jusqu’à ce que le salarié fasse valoir ses droits à la retraite (4).

La doctrine s’est donc posée la question de savoir si le juge allait atténuer sa position.

L’interprétation de la loi tendait, depuis la jurisprudence 2021, à suspendre ou prolonger la durée de la prescription sur une grande partie de la carrière du travailleur, la rendant quasi-imprescriptible dans certains cas. Toutefois, la loi de 2008 a prévu un délai maximal pour allonger la prescription : elle ne peut dépasser un délai de vingt ans. Il s’agit de la date butoir de droit commun en matière civile (2).

La chambre mixte avait auparavant en 2023 (5) reconnu la non application du délai butoir général sur des litiges invoquant la garantie contre les vices cachés, et si le délai de prescription décennal antérieur n’était pas expiré à la date du 17 juin 2008 (date d’entrée en vigueur).

Cette fois, la chambre sociale s’est prononcée sur un report de la prescription, estimant que la date de la révélation n’était pas fixée aux conclusions de l’employeur sur les manœuvres pour le licencier, mais que la discrimination s’est révélée lors de la liquidation de sa retraite anticipée. Affaire à suivre donc.

Auteur, Adib MOUHOUB, Juriste, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.

SOURCES (annexées) :

  • Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile (1).
  • Cour de cassation, Chambre sociale, 31 mars 2021, 19-22.557, Publié au bulletin.
  • Cour de cassation, Chambre sociale, 18 mai 2022, 21-11.870, Inédit.
  • Cour de cassation, Chambre sociale, 19 octobre 2022, 21-21.309, Inédit.
  • Cour de cassation, Chambre sociale, 7 juin 2023, 22-22.920, Publié au bulletin.
  • « Le régime sibyllin de la prescription applicable à la discrimination continue » Julien ICARD, Professeur à l’Université Paris 2, Panthéon-Assas Lamyline 14 juin 2021.
  • Cour de cassation, Chambre sociale, 14 février 2024, 22-22.920, Inédit (4).
  • Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 9 mars 2022, 20-19.345 (1).
  • Article 2232 du Code civil (2).
  • Cour de cassation, Chambre sociale, 5 janvier 2022, 20-10.140 (3).
  • Cour de cassation, Chambre mixte, 21 juillet 2023, 20-10.763, Publié au bulletin (5).

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